Utilisés dans une démarche d’optimisation des parcours de soins, les essais pragmatiques répondent à des questions simples pour informer les pratiques. La Pr Alexandra Leary, oncologue médicale à Gustave Roussy et cheffe adjointe du département d’oncologie médicale, y revient en cinq questions.
L’oncologie se complexifie énormément, avec les thérapies ciblées, l'utilisation et la modification des cellules immunitaires, etc. C’est une excellente nouvelle pour nos patients, mais cette complexification signifie aussi que les dernières avancées en oncologie ne sont pas forcément disponibles ou faisables pour tous les patients. Je pense qu’il reste de la place pour des essais cliniques qui partent de la pratique.
Les essais pragmatiques cherchent ainsi à répondre à une question simple, que de nombreux praticiens se posent chaque semaine en réunion de concertation pluridisciplinaire. L’objectif ? Optimiser les pratiques courantes.
Les essais pragmatiques ne sont pas des essais cliniques qui vont mener à l’approbation d’un nouveau médicament. Ils peuvent comparer deux traitements standards ou évaluer des stratégies de désescalade. Par exemple, si une radiothérapie post-opératoire est systématiquement proposée à un groupe de patients atteints de cancer sur la base d’une pratique empirique plutôt que de preuves scientifiques, un essai pragmatique pourra permettre de connaître le bénéfice réel de ce traitement et servir de fondement à de nouvelles recommandations cliniques.
Les essais pragmatiques peuvent aussi contribuer à l’optimisation des stratégies thérapeutiques existantes. En évaluant par exemple si un traitement administré pendant deux ans offre les mêmes bénéfices en seulement six mois. Ces essais permettent de réduire les toxicités et les coûts tout en préservant l’efficacité des traitements.
D’abord, il est nécessaire qu’un essai pragmatique repose sur une question simple. Il faut ensuite que la réponse apportée puisse être applicable à un maximum de patients. De même, la stratégie testée doit être basique, et ne doit pas nécessiter une infrastructure complexe, ou un médicament coûteux. L’essai doit être souple dans son organisation, et les patients recrutés doivent ressembler à la majorité des patients avec un cancer. Ce qui implique de ne pas avoir des critères d’inclusions multiples et extrêmement stricts. Les procédures liées à l’essai (bilans biologiques ou imagerie) doivent également être aussi proches du soin courant que possible et les données collectées minimales.
En résumé, un essai pragmatique doit être agile, avec des coûts réduits pour être en mesure d’ouvrir dans le plus grand nombre et type de centres possibles.
Les essais pragmatiques, une fois leurs résultats présentés ou publiés, peuvent modifier les pratiques immédiatement et partout. Car le recrutement est rapide et les critères d’inclusion simples, les résultats sont applicables à tous nos patients avec un cancer, et non pas uniquement à une population idéale sans comorbidité ou troubles physiologiques.
La simplicité de la stratégie testée, le nombre très réduit de données collectées et de procédures supplémentaires liées à l’essai réduisent enfin considérablement la lourdeur administrative (CRF, temps de remplissage, pharmaco-vigilance, monitoring etc…)
Gustave Roussy est fortement engagé dans les essais pragmatiques, et ceci depuis plus de 20 ans. Par le passé, nos médecins se sont intéressés au bénéfice pour les patients d’un suivi digital et téléphonique réalisé par des infirmières (étude CAPRI). En 2021, alors que les pratiques n’étaient pas homogènes, l’étude LungART a permis de statuer qu’une radiothérapie post-opératoire n’apportait pas de bénéfice significatif à l’ensemble des patients opérés d’un cancer du poumon non à petites cellules avec métastases médiastinales. Cet essai a modifié les pratiques à travers le monde.
Actuellement, d’autres essais pragmatiques sont en cours. L'étude PULSE, portée par le Pr Benjamin Besse, compare l’efficacité et la tolérance d’une dose standard de 200mg de pembrolizumab (une immunothérapie) toutes les 3 semaines versus toutes les 6 semaines, dans les cancers du poumon non à petites cellules. Personnellement, je suis investigatrice de l’étude RAINBO-MMRd GREEN qui compare une chimiothérapie post-opératoire à une hormonothérapie post-opératoire chez des patientes opérées d’un cancer de l’endomètre exprimant les récepteurs aux hormones. Si l’étude montre que l’hormonothérapie est aussi efficace que la chimiothérapie, la qualité de vie de ces patientes, souvent âgées avec une mauvaise tolérance de la chimiothérapie, sera grandement améliorée.